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Retour sur… la Matinale de la CNAPE

Protection de l'enfance

Le 17 septembre dernier, la CNAPE proposait un nouveau format d’échanges de points de vue à propos de la protection de l’enfance. S’inspirant des émissions télévisées au cours desquelles divers invités répondent « en live » aux questions des journalistes, cette Matinale, premier coup d’essai du genre pour la fédération, a rassemblé un public avisé sur la question.

Alliant spontanéité et esprit constructif, il s’agissait en premier lieu de recueillir la réaction des invités au parti pris de l’émission « Pièce à conviction » de France 3, proposée le 16 janvier dernier, intitulée « Enfants placés : les sacrifiés de la République ». Afin de susciter leur réflexion, quelques extraits évoquant la pratique quotidienne de la protection de l’enfance dans ses réalités d’aujourd’hui, tirés de documentaires de Bertrand Hagenmüller, sociologue, réalisateur et animateur des échanges pour la circonstance, ont ensuite été projetés.

Les invités ont été unanimes pour condamner les pratiques maltraitantes que dénonce le reportage de France 3 en lui reconnaissant le mérite de les avoir mises en lumière et de susciter les divers débats actuels. Tous ont cependant regretté la vision partielle et partiale du reportage qui accable sans concession responsables et professionnels des Départements, en multipliant les séquences insistantes au mépris de la souffrance des enfants filmés. C’est un tableau monochrome, sans contrepoint si ce n’est le propos d’une jeune femme qui reconnaît avoir été sauvée grâce à l’ASE, mais son sort de sans domicile fixe mis en exergue par la caméra, non sans malice, réduit bien vite son propos. Ces dernières images laissent sur une impression d’échec total de cette politique publique. « Ce que le film montre c’est réel, mais ce n’est pas que çà la protection de l’enfance, heureusement ! Il y a aussi de belles rencontres et des réussites » a affirmé l’un des jeunes adultes protégés durant son enfance. Si des violences existent telles que le reportage les dénonce, elles ne sont pas la règle selon les « anciens de l’ASE » invités de la Matinale, tout comme l’expriment ceux qui témoignent dans les documentaires de Bertrand Hagenmüller. Leurs propos sont nuancés lorsqu’ils évoquent leur vécu à l’ASE, tout en rappelant l’impact de leur histoire familiale à l’origine de leur « placement ». Ils regrettent que l’émission n’ait pas traité de ce qui semble, à leurs yeux, le plus essentiel lorsqu’ils sont séparés de leur famille, à savoir le manque d’intérêt à leur égard qu’ils ont pu ressentir de la part de ceux qu’ils côtoyaient au quotidien. Sans doute faut-il entendre par ces propos, un besoin constant de témoignage d’attention, de considération, le besoin de compter pour quelqu’un qui se soucie d’eux et qui prenne soin d’eux, ce qui change tout. Ce propos n’est pas nouveau mais tend à s’amplifier, ce qui doit nous interpeller. Il provoque débats et controverses, notamment parmi les professionnels éducatifs piqués au vif. Tout en observant que leur métier est incompatible avec le désintérêt envers les enfants, ces derniers pointent le manque de temps qui les rend peu disponibles pour se consacrer à chaque enfant comme il faudrait.

Des « anciens de l’ASE » vont plus loin, disent le besoin d’affection et même d’amour qu’ils éprouvaient durant leur accueil auquel il n’a pas été répondu. Députée de la Nièvre et ancienne de l’ASE, Perrine Goulet est intervenue au cours du débat de la Matinale et a préféré parler du besoin d’attachement. La nécessaire distance invoquée par les professionnels ne peut être, selon eux, la réponse à ce qu’ils expriment. Ils interrogent d’ailleurs le concept de « juste distance » de plus en plus évoqué aujourd’hui, laissant entrevoir un ajustement possible entre posture professionnelle (pour ne pas se perdre) et dimension affective. Cependant, ils préfèrent que soit évoquée la « juste proximité ». Ainsi, espèrent-ils un engagement plus fort des professionnels dans une relation affective avec les enfants lorsque ceux-ci en ont besoin. En d’autres termes, répondre au besoin affectif des enfants admis à l’ASE leur apparaît être une exigence à laquelle il y a lieu de répondre et dont les professionnels éducatifs sont, de leur point de vue, un élément de la réponse.

La démarche de consensus relative aux besoins fondamentaux de l’enfant en protection de l’enfance, conduite par le docteur Marie-Paule Martin-Blachais, a donné lieu à un rapport remis début 2017 qui inscrit le besoin affectif comme un des besoins fondamentaux universels. S’appuyant notamment sur la théorie de l’attachement, le rapport met l’accent sur l’importance à répondre au besoin affectif de l’enfant pour contribuer à lui assurer un socle de sécurité et ainsi favoriser son développement qui est l’enjeu primordial pour chaque enfant, petit et grand.

La réponse à ce besoin universel conduit inévitablement à questionner les pratiques et les postures professionnelles.

D’ailleurs, les professionnels qui prennent part aux travaux de la CNAPE reconnaissent que parmi les besoins de l’enfant séparé durablement de sa famille, le besoin affectif ressort souvent comme étant le besoin spécifique le plus problématique auquel ne répond pas toujours comme il le faudrait le dispositif de protection de l’enfance. L’ensemble des réflexions qui ont cours, dont certaines s’inspirent de la démarche de consensus, confirme des convergences et la nécessité de poursuivre sur le terrain l’adaptation de la protection de l’enfance aux évolutions multiples et aux attentes diverses, en réservant une attention particulière au besoin affectif de l’enfant.

Le pacte pour l’enfance porté par le Secrétaire d’Etat Adrien Taquet s’inscrira sans doute dans cet objectif avec, nous l’espérons, une visée opérationnelle et les moyens d’y parvenir. Il s’agit, à présent, de dépasser le stade conceptuel. A cet effet, il apparaît indispensable de soutenir la diffusion et l’appropriation des connaissances et l’ajustement des pratiques. Certes, les guides et référentiels devront aider à cette transformation sous réserve que leur intérêt soit bien compris et leur usage partagé. Certes la formation des professionnels au plus près des enfants, sur lesquels reposent la mise en œuvre concrète de la protection de l’enfance, régulièrement questionnée et pointée comme étant insuffisante, devra connaître des aménagements. Mais il ne faudrait pas faire l’impasse sur la formation des cadres intermédiaires et décisionnaires qui sont des maillons déterminants du système, tout comme celle des élus et des responsables associatifs. Mais il faudra aller au-delà. C’est l’ensemble du cadre d’action de la protection de l’enfance qu’il importe de continuer d’aménager et de renforcer. Il appartient donc à tous les acteurs concernés, de près ou de loin, d’accompagner cette dynamique de transformation qui doit porter sur tout l’édifice dans sa dimension interne et écosystémique. Mais ils ne pourront le faire qu’avec ceux qui sont au cœur de l’action (les professionnels et les bénévoles), et avec ceux pour qui elle est menée (les enfants bien sûr, et avec leur famille qu’il faut (re)mobiliser autant que possible).

En toutes circonstances, il est impératif que ces acteurs favorisent l’expression des enfants et restent à l’écoute de ce qu’ils ont à dire. Et les enfants diront sans doute comme leurs aînés qu’ils ont besoin d’être protégés du danger mais aussi de grandir dans la bienveillance, dans la bien-traitance, dans la considération et la prise en compte de leurs besoins et de leurs aspirations, dans le respect de tous leurs droits. Des droits dont on célèbrera le 20 novembre prochain le 30e anniversaire de l’adoption de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant par l’Organisation des Nations-Unies.