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Mieux appréhender la prostitution dans la prise en charge des jeunes : l’expérience du CER Le Sextant

Justice des mineurs

Entretien avec Bruno Favier, directeur général de l’association pour l’éducation renforcée (APLER)

POUVEZ-VOUS NOUS PRÉSENTER LE CER LE SEXTANT ?
Le Sextant accueille, dans plusieurs gîtes, des jeunes filles de 14 à 17 ans placées par le juge des enfants dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 1945.
Ce dispositif leur offre une rupture totale avec leur environnement. Il favorise la perte des repères classiques et l’apprentissage des règles de vie collective.
Le séjour s’articule autour de deux semaines de randonnée en moyenne montagne, une semaine de spéléologie et se termine par une semaine d’équithérapie. Elle ajoute une valeur thérapeutique et analytique à cinq mois de placement afin d’améliorer l’accompagnement des adolescentes. L’équipe du CER est composée d’un chef de service, d’une psychologue, de neuf éducateurs, d’une maîtresse de maison et d’un surveillant de nuit.

POURQUOI S’INTÉRESSER À LA PROSTITUTION CHEZ LES JEUNES EN CONFLIT AVEC LA LOI ?
Le CER est habilité par la PJJ depuis 2001. Ces dernières années, les professionnels ont constaté une augmentation des problématiques liées à la prostitution dans la prise en charge des jeunes filles aux profils variés : celles identifiées dans un réseau organisé, arrêtées pour proxénétisme, se prostituant occasionnellement entre copines ou par nécessité notamment dans les situations d’errance. S’il n’existe pas de profil type, ces adolescentes sont en revanche marquées par de grandes fragilités et ont souvent connu un traumatisme sexuel antérieur à la pratique de la prostitution. Afin d’aborder ce sujet dans les meilleures conditions possibles, il est apparu essentiel de permettre aux professionnels de mieux le comprendre, de les « outiller » pour accompagner ces jeunes filles et adapter leur prise en charge.

COMMENT S’ORGANISE LA PRISE EN CHARGE ?
Lorsque la prostitution apparaît comme une des problématiques que connaissent les adolescentes, la première étape consiste à les repositionner dans un quotidien d’enfant, entourées d’adultes bienveillants. Il convient de leur offrir une bulle de protection et de leur permettre d’expérimenter d’autres modes de relation avec l’adulte. A ce sujet, l’équipe du Sextant rappelle l’importance de pouvoir disposer de structures non mixtes pour y parvenir. Les différentes phases du séjour vont les aider à réinvestir leur corps dans une activité physique, à découvrir leurs capacités et à reprendre confiance en elle et en l’adulte. Il s’agit ensuite de remobiliser les jeunes filles sur les questions de santé, de scolarité et d’insertion. Le CER organise des temps de prévention sur les conduites sexuelles à risque pour les sensibiliser, développer leur esprit critique et les informer des relais qu’elles peuvent solliciter. Enfin, l’équipe va chercher à libérer leur parole. Les adolescentes rencontrent la psychologue une fois par semaine et certaines se confient. Cela constitue un grand pas et un suivi en extérieur leur est proposé. Outre l’accompagnement nécessaire, il vise à traiter le traumatisme subi pendant la petite enfance, l’enfance, la préadolescence ou l’adolescence et à les soutenir dans la réalisation de leur projet d’avenir.
Les professionnels ont remarqué que les jeunes filles qui s’étaient prostituées de manière consentie se confiaient plus difficilement. L’objectif pour l’équipe est alors de leur faire prendre conscience que cela ne se fait pas.

POUVEZ-VOUS NOUS DIRE QUELQUES MOTS SUR LA FORMATION DE VOS PROFESSIONNELS ?
Afin de compléter cette approche, l’APLER a financé une formation pour les professionnels du Sextant et a sollicité l’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE).
Deux journées ont été organisées au travers d’échanges et d’entretiens fictifs en présence de comédiens de la troupe de théâtre « La compagnie des Alizés ». Cela a permis à toute
l’équipe de repartir avec des clés supplémentaires pour aborder ce délicat sujet, pour réfléchir à comment trouver le bon moment pour aborder cette question et avec les bons mots pour ne pas être dans le jugement. Les professionnels se sont sentis revalorisés et rassurés dans la pratique qu’ils ont développée dans leur prise en charge.
Cette thématique et l’accompagnement des équipes des Gones et du Sextant font partie de la stratégie de formation de l’APLER. Cette adaptation permanente vise à « outiller » les éducateurs aux « nouveaux publics» et à leurs problématiques.

Ce phénomène est pris très au sérieux au sein des établissements et en parallèle, l’association réalise une étude sur l’impact des violences sexuelles subies dans le parcours de délinquance. Il ne s’agit pas d’une question de santé publique, quoi que, mais l’objectif est de restaurer, pendant la courte durée du placement en CER, l’image que les adolescentes ont d’elles-mêmes, la place de leur féminité et de leur sexualité, et de les rendre autant que possible maîtresses de leur corps et de leur choix de « femme ».