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Référer les organisations et pratiques aux besoins fondamentaux de l’enfant : une recherche-formation-action au service de cet enjeu

Protection de l'enfance

Par Eliane Corbet, psychologue, docteure en psychopédagogie

Pouvons-nous dire que les organisations, les pratiques en protection de l’enfance sont « à la hauteur des enfants », pour reprendre la formule de Janusz Korczak ? Pouvons-nous dire qu’elles sont référées aux besoins fondamentaux de l’enfant tel que le stipule la loi du 14 mars 2016 ?

La protection de l’enfance confrontée à des difficultés voire à des dysfonctionnements

De récents rapports s’accordent pour souligner des dysfonctionnements préjudiciables à l’intérêt supérieur de l’enfant. En effet différents constats convergent pour regretter la non mise en œuvre de la loi du 14 mars 2016 malgré ses décrets d’application, l’absence de pratiques homogènes ou encore l’absence de portée pragmatique de la démarche de consensus sur la définition des besoins fondamentaux de l’enfant.

Le rapport annuel de novembre 2019 du Défenseur des droits traitant pour le trentième anniversaire de la Convention internationale des droits de l’enfant « d’un droit essentiel au développement de l’enfant, son droit d’être protégé contre toute forme de violence, reconnu à l’article 19 de la CIDE, afin que soit respecté son besoin fondamental de sécurité » retient pour titre « Enfance et violence : la part des institutions publiques »[1]. S’agissant du champ de la protection de l’enfance, il souligne une détection trop tardive des difficultés, la mise à mal du besoin de sécurité affective des enfants confiés, l’instabilité des parcours, la parole de l’enfant peu entendue, des décisions insuffisamment expliquées aux enfants, des logiques administratives et gestionnaires qui priment sur le soin apporté aux enfants.

Le rapport de la Mission IGAS/IGJ/IGAENR[2], Rapport sur « les morts violentes d’enfants au sein des familles – évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance » de mai 2018, rendu public en avril 2019, livre une analyse approfondie de cas de décès d’enfants du fait de maltraitances familiales et relève dans ces situations des dysfonctionnements ou « des occasions manquées » à différents niveaux du dispositif de protection de l’enfance : un manque de vigilance, un repérage défaillant ou lacunaire, un manque de rigueur dans l’analyse, des mesures de prévention insuffisantes, une caractérisation du danger non rigoureuse, un fonctionnement cloisonné. Pour prévenir de tels drames mais aussi pour renforcer la qualité du dispositif, ses recommandations à la suite de son analyse portent sur le repérage et l’évaluation, sur l’organisation des interventions avec un renforcement des partenariats et sur la formation des professionnels.

Le fonctionnement de la protection de l’enfance est également questionné tout récemment dans l’avis de la CNCDH (Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme) de mai 2020[3] qui souligne aussi un « dispositif en souffrance » et qui, outre des recommandations propres à sa lettre de mission vise un meilleur respect des droits des familles et émet des recommandations similaires.

Dans un tel état du dispositif, l’inquiétude ne pouvait qu’être majeure en cette période de crise aux dimensions multiples liée au covid19 avec ses possibles répercussions sur les enfants « en danger » confinés dans leur lieu d’accueil ou au domicile parental avec de fait une moindre protection en conséquence de l’éloignement des professionnels dans la plupart des situations « suivies ». La CNCDH constate en effet que « cette crise a encore accentué les difficultés que rencontrent habituellement les acteurs de la protection de l’enfance, faisant ressortir les nombreuses disparités locales et l’insuffisance de moyens ».

L’ONPE quant à lui conclut ses « Premières observations sur la gestion du confinement/crise sanitaire en protection de l’enfance » en disant que « cette crise sanitaire semble mettre en lumière, voire même avoir un effet « loupe » sur des fragilités et/ou des ambiguïtés du dispositif de protection de l’enfance qui sont déjà connues en raison des difficultés qu’elles occasionnent ».

La lecture de ces rapports presque concomitants nous rappelle, s’il en était besoin, combien la vigilance et la rigueur sont indispensables pour garantir que organisations et pratiques soient en tout premier lieu au service de l’intérêt supérieur des enfants et de leur protection, mais combien une nouvelle considération est nécessaire pour faire de la protection de l’enfance une réelle priorité de politique publique avec une attribution de moyens suffisants, avec des organisations et des articulations partenariales plus adéquates afin de mieux prévenir, de mieux protéger, sans discontinuité.

Prendre la mesure de la crise en cours et de ce qu’elle amplifie et par là révèle est un impératif qui semble actuellement partagé mais aussi qui nous oblige tous afin que le voile juste relevé ne risque vite de retomber.

Cependant, et c’est une source d’espoir et de confiance, les observations sur le terrain, conduites avec les équipes, nous donnent à voir des professionnels qui font montre d’implication et surtout voient dans la nouvelle définition de leur mission centrée sur les besoins fondamentaux de l’enfant, un renouveau de sens et de mobilisation pour leurs actions, une opportunité de changements. Sous réserve de réduire le gap entre d’une part des objectifs d’action plus ambitieux qui se dégagent des réflexions et des analyses centrées sur les besoins des enfants et d’autre part les conditions et les modalités d’action encore à l’œuvre, au risque sinon de découragement ou de sentiment d’impuissance, une nouvelle dynamique est impulsée. La réduction de cet écart passe en partie par une transformation des pratiques qui ne peut se mener sous injonction ou sous prescription, mais qui peut être facilitée par une réflexion ancrée dans le travail quotidien auprès des enfants et leurs familles, par une nouvelle articulation de la théorie et de la clinique qui peut orienter une nouvelle praxis référée aux besoins fondamentaux de l’enfant.

C’est l’expérience dont peut faire état une démarche de recherche-formation-action conduite depuis plus d’une année au sein d’un territoire avec les acteurs de la protection de l’enfance.

Le contexte et l’origine de la démarche

La loi du 14 mars 2016, à l’instar de lois de santé de la même période, a porté l’accent sur la nécessité de « sécuriser les parcours » (c’est d’ailleurs un de ses titres) et en fait un objectif opérationnel complémentaire à l’objectif principal dévolu à la mission même de la protection de l’enfance, celui de « garantir la prise en compte des besoins fondamentaux de l’enfant ».

En effet, force est de constater que les parcours de vie « en protection de l’enfance » sont encore inféodés aux organisations, soumis à des aléas préjudiciables, trop souvent ponctués de discontinuités et de ruptures, trop souvent chaotiques plutôt qu’au service d’une trajectoire développementale optimale. Des travaux de recherche depuis plusieurs années ont alimenté ce constat.

Une démarche de recherche-formation- action, actuellement en cours, liée à cette préoccupation relative au parcours des enfants témoigne d’un souci de qualité des actions et d’une volonté de répondre au mieux aux besoins fondamentaux des enfants.

Cette démarche est née de la rencontre d’engagements convergents : une initiative locale faisant suite à une réorganisation institutionnelle, celle de l’ASEAC en Corrèze portée par son directeur général, également délégué régional Limousin-Poitou-Charentes de la CNAPE ; un intérêt pour la recherche impliquée et l’accompagnement d’équipe sur cette thématique par une chercheure engagée en protection de l’enfance (l’auteur de cet article) ; une mission d’animation nationale exercée par une grande fédération, la CNAPE, soutenant une démarche innovante, éventuellement transposable.

Ajouter à cela une double inscription territoriale, départementale (la Corrèze) et régionale (Limousin-Poitou-Charentes), avec une volonté d’ouverture de partenariats et de partage d’enseignements si ceux-ci s’avèrent pertinents. L’ensemble permettant de réunir les conditions favorables au démarrage et à la conduite de la démarche.

Les objectifs

Ses objectifs à la fois modestes et ambitieux, relèvent de différents niveaux : étayer les professionnels et les premiers acteurs concernés – enfants et parents – pour une transformation de la situation de chacun des enfants faisant l’objet d’une mesure de protection, étayer une transformation des pratiques des professionnels, étayer les interventions collaboratives au sein de partenariats constitués dans un territoire.

Selon un principe d’isomorphisme, ces différents niveaux sont référés aux besoins fondamentaux de l’enfant, visant chacun une transformation et interfèrent ainsi entre eux.

Les acteurs de la démarche

Plusieurs catégories d’acteurs sont associées selon un mode participatif et collaboratif. Outre les acteurs, directement engagés dans les actions, que sont bien évidemment les professionnels, sont également associés à la recherche-formation-action des parents, des enfants, des administrateurs de l’association gestionnaire, les partenaires inscrits dans le même territoire, les prescripteurs et plus particulièrement le Conseil départemental de la Corrèze.

Une autre catégorie d’acteurs est constituée des chercheurs-formateurs.

La CNAPE qui soutient la démarche est représentée par sa directrice générale.

Cette démarche initiée en Corrèze avec l’ASEAC associe les partenaires de celle-ci, MSA Services Limousin, la MECS La Providence et inclut l’organisation de travaux au sein de chacune de ces institutions ainsi que des travaux en commun. Elle s’implante également en Haute-Vienne avec l’ALSEA.

Pour la conduire et en assurer la bonne fin, un pilotage de différents niveaux a été institué, sans hiérarchie entre eux, un niveau local, un niveau régional et un niveau national.

Les principes de la démarche de recherche-formation-action

Les principes retenus pour la conduite de la démarche apparaissent être des facteurs favorisant sa faisabilité, son acceptabilité et, probablement son effet transformatif.

En premier lieu, elle peut être qualifiée à la fois de participative et de collaborative. C’est ainsi que la formulation des constats, des hypothèses de recherche se fait avec les acteurs.

L’articulation des connaissances et de la pratique est régulière, proposant des synthèses des connaissances actuellement en vigueur en protection de l’enfance et d’évolution récente et favorisant systématiquement leur mise en lien avec les pratiques.

Des apports formatifs sont dispensés en fonction de l’avancement des travaux et à la suite de besoins identifiés par et avec les praticiens. Et surtout la recherche est intégrée à la pratique et inversement.

Elle ne constitue pas pour les professionnels un travail supplémentaire, mais s’inscrit dans le travail quotidien relatif aux situations dont les professionnels sont en charge.

Cette démarche est appuyée sur l’observation selon une conception participative de celle-ci et, selon le même principe d’isomorphisme, répartie sur différents axes : l’observation du développement de l’enfant ainsi que l’observation directe du « parentage » (adoptant le vocable québécois pour désigner les attitudes, conduites et tâches parentales) pour une identification des besoins fondamentaux de l’enfant ; l’observation des effets des actions sur la situation de l’enfant ; l’observation de l’évolution des pratiques et de ses effets.

Une démarche animée par ces principes contribue à établir de nouvelles relations entre chercheurs et praticiens.

L’immersion des chercheurs dans les équipes de professionnels favorise adaptation et accommodation réciproques, propices à une co-production de nouveaux savoirs, notamment de repères pour l’action.

Les questions de recherche

Les premières questions de recherche se rapportent surtout aux parcours de vie et aux trajectoires développementales des enfants, s’organisent et se déclinent autour d’une question centrale : « A quelle(s) condition(s) les interventions auprès d’enfants maltraités (au sens de la nouvelle nomenclature des maltraitances) peuvent-elles modifier la situation de l’enfant ? ». Toutes ces questions se réfèrent aux besoins fondamentaux de l’enfant, tant pour les identifier que pour mobiliser à leur propos.

Dans leur formulation, les nouvelles approches théoriques et cliniques des maltraitances à enfants, issues de travaux de recherche récents sont utilisées.

Servent également d’appui les références juridiques en vigueur, tout particulièrement celles que constituent les décrets d’application de la loi du 14 mars 2016. 

La méthodologie

Inhérente à une approche à la fois participative et collaborative, la construction de la recherche-formation-action s’appuie sur une méthodologie définie avec l’ensemble des acteurs et qui s’adapte à la progression des travaux. Elle retient des phases successives et/ou simultanées de constats partagés, de formulation de questions de recherche, de participation observante à des travaux en équipe d’analyse de situation, d’étude de rapports de situation, de synthèses et de transmission de connaissances, d’application clinique de références théoriques dans l’analyse de situations et dans la définition d’objectifs d’action, d’expérimentations de repères co-construits.

Le périmètre de la démarche

Le périmètre institutionnel et géographique n’est pas délimité de façon définitive, de prime abord associatif puis inter associatif, il s’agit surtout d’un ancrage territorial, qui reste toutefois ouvert, des partenaires rejoignant progressivement la démarche. Pour ceux-ci, si la démarche reste commune, elle s’adapte cependant aux enjeux propres à chacune des institutions. L’ensemble des thématiques et des interrogations couvertes n’est donc pas a priori défini, de même la temporalité de réalisation est propre à chacune des institutions. Par contre, il est convenu que les enseignements et résultats soient partagés.

Les résultats attendus

L’objectif principal est de référencer les pratiques aux besoins fondamentaux de l’enfant. Pour ce faire, il apparaît impératif d’étayer les professionnels dans la caractérisation de la situation de l’enfant pour une plus grande rigueur dans la définition des plans d’action, véritables volets opérationnels du « projet pour l’enfant » programmables et évaluables. La dénomination proposée de « plans d’actions collaboratifs solidaires », ou PACS pour les désigner, souligne les principes et les objectifs qui guident cette démarche de recherche-formation-action.

La co-production et l’expérimentation d’un cadre de références et de repères partagés viendra étayer à la fois ces opérations successives de caractérisation de situation, de définition de plans d’action ainsi que la modélisation de nouvelles actions collaboratives concourant à une meilleure sécurisation des parcours.

La continuité de la démarche pendant le confinement et la première période de « déconfinement »

Il est à noter que cette démarche n’a pas été interrompue dans cette période particulièrement difficile due à la crise sanitaire. Bien sûr, elle a eu à s’adapter à ces conditions et à trouver d’autres modalités de mise en œuvre. Mais sa continuité, considérée indispensable par les professionnels déjà engagés depuis près d’une année notamment de l’ASEAC, montre qu’elle s’inscrit dans leurs pratiques, voire qu’elle est considérée comme source de repères pour l’action dans la perspective de changements, et surtout qu’elle s’inscrit maintenant dans leur clinique quotidienne.

Véritable changement de paradigme depuis la loi relative à la protection de l’enfant du 14 mars 2016, la référence primordiale aux besoins fondamentaux de l’enfant à l’aune desquels il nous faut maintenant évaluer, décider et agir pour soutenir son développement, fonctionne comme levier mobilisateur auprès des différents acteurs dont les parents, tant pour transformer si nécessaire la situation des enfants concernés que les pratiques professionnelles elles-mêmes. Cette recherche-formation-action utilise ce levier, s’inscrit dans ce mouvement et s’engage à y prendre part. A suivre donc.[4]

 

[1] Défenseur des Droits, Enfance et violence : la part des institutions publiques, novembre 2019.

[2] Mission IGAS/IGJ/IGAENR, Rapport sur « les morts violentes d’enfants au sein des familles – évaluation du fonctionnement des services sociaux, médicaux, éducatifs et judiciaires concourant à la protection de l’enfance », mai 2018, rendu public avril 2019.

[3] Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, Le respect de la vie privée et familiale en protection de l’enfance : un droit fondamental difficilement assuré dans un dispositif en souffrance, 26 mai 2020.

[4] Les prochaines étapes de cette recherche formation action seront évoquées au fur et à mesure dans les prochains Forum.